La servitude volontaire
Depuis des siècles, le peuple français a subi les ordres et caprices des classes dominantes. Le citoyen français, qu’il soit paysan, ouvrier ou employé, est depuis longtemps perçu comme une simple ressource par ceux qui détiennent le pouvoir.

L’histoire de France ne raconte-t-elle pas, en fait, une lutte incessante pour la survie, où le « citoyen » n’a souvent été qu’un pion entre les mains des puissants ?
Avant la Révolution de 1789, le pouvoir était entre les mains de la royauté et de la noblesse, deux castes distinctes, mais solidaires dans leur exploitation de la population.
Le citoyen d’alors, surtout paysan, était bien plus qu’un sujet ; il était le larbin indispensable à la prospérité des nobles.
Les serfs travaillaient leurs terres, payaient des impôts exorbitants, et subissaient des réquisitions pour financer les guerres royales.
Mais il y avait une catégorie encore plus sournoise : la bourgeoisie. Elle, tout en s’appropriant progressivement un certain pouvoir économique, rongeait son frein, rêvant de renverser la table pour occuper la place de la noblesse. Et en 1789, la bourgeoisie s’est mise en marche.
La Révolution de 1789 : Le Citoyen Larbin de la Bourgeoisie en Puissance
La bourgeoisie a vu dans la Révolution une occasion de prendre le pouvoir, non pour le peuple, mais pour elle-même. Avec l’aide des citoyens, qui dans leur rôle de « sans-culottes » ont fourni la chair à canon nécessaire pour combattre les forces royalistes, la bourgeoisie a su se positionner habilement comme la force révolutionnaire du moment.

Le citoyen lambda, rêvant de liberté, d’égalité, et de fraternité, s’est laissé enrôler dans cette lutte, pensant combattre pour sa propre liberté.
Mais la réalité était autre. En fait, la bourgeoisie utilisait cette force populaire pour consolider son propre pouvoir.
Derrière les slogans et les idéaux de la Révolution, se dessinait déjà l’ébauche d’une nouvelle domination : celle de la bourgeoisie sur la classe populaire.
Tandis que les travailleurs se sacrifiaient sur les champs de bataille, cette élite émergente s’appropriait les biens confisqués aux nobles et au clergé, constituant ainsi un nouvel ordre social.
Les biens de la noblesse et du clergé, ainsi « redistribués », tombèrent dans les mains de ces nouveaux maîtres du pays.
C’est ainsi que la classe bourgeoise s’est hissée au sommet, et avec elle, les germes du capitalisme moderne ont été semés. La bourgeoisie avait réussi : le citoyen redevenait larbin, mais cette fois pour cette nouvelle élite.
Naissance et Ascension du Capitalisme Bourgeois
Ce que la bourgeoisie avait désormais à sa disposition était bien plus que des terres et des titres : elle possédait les moyens de production.
Les usines, les manufactures, et les commerces se sont multipliés. La bourgeoisie industrielle du 19e siècle s’est ainsi construite, exploitant la main-d’œuvre ouvrière pour asseoir sa prospérité.

Les ouvriers, à peine libérés du joug féodal, se retrouvaient asservis par des horaires exténuants, des conditions de travail déplorables, et des salaires de misère.
On ne parlait plus de corvées féodales, mais des cadences infernales des usines, où l’homme n’était guère plus qu’une machine parmi d’autres. La bourgeoisie capitaliste avait désormais besoin d’un nouvel esclave, non plus agricole, mais industriel.
Les révolutions industrielles qui ont suivi ont permis à la bourgeoisie d’étendre son influence, mais également d’étendre ses réseaux. Grâce à la constitution et aux lois, cette bourgeoisie s’est protégée, codifiant ses privilèges.
La loi devenait un instrument de la classe dominante pour garantir et accroître sa richesse.
Du Capitalisme Industriel au Capitalisme Financier
Au tournant du 20e siècle, les choses évoluent, et avec elles, les priorités de la bourgeoisie.
Elle cède progressivement la place à une autre élite, moins attachée à la production qu’aux flux de capitaux : les financiers. La bourgeoisie financière prend son essor en exploitant non pas les moyens de production, mais les marchés.
Ainsi, le capitalisme français passe de l’ère industrielle à l’ère de la finance.
Ce ne sont plus les usines, les terres ou les travailleurs qui sont la priorité, mais les actions, les produits dérivés et les profits instantanés. Avec cette mutation, le sort du citoyen se détériore encore davantage. En effet, la finance ne nécessite pas d’employés stables et loyaux. Pour maximiser les rendements, les entreprises délocalisent, les usines ferment, et les ouvriers se retrouvent au chômage, abandonnés.
Dans cette dynamique, le citoyen est à nouveau sacrifié sur l’autel du profit. Le tissu industriel français se délite, et des régions entières, autrefois prospères, sombrent dans le déclin. La « désindustrialisation » est le nouveau mot à la mode, tandis que les financiers lorgnent vers des pays où la main-d’œuvre est encore moins chère, toujours plus corvéable
L’histoire française, tout comme celle de bien des pays, est marquée par un motif récurrent de spoliation des biens communs. Des terres de la noblesse aux biens publics modernes, les mécanismes de transfert des richesses collectives vers des intérêts privés n’ont cessé de se perfectionner. En prenant un point de vue anarchiste, on observe un long processus par lequel les ressources et infrastructures construites avec l’argent et les efforts du peuple sont finalement privatisées, souvent pour enrichir une minorité de détenteurs de capitaux. Cet article examine comment cela s’est produit au fil des siècles, en se concentrant d’abord sur la Révolution française de 1789, avant d’aborder les exemples contemporains.
1789 : Les Terres et les Biens du Clergé et de la Noblesse
Lors de la Révolution française, les terres et les biens du clergé et de la noblesse, deux piliers de l’Ancien Régime, sont confisqués et déclarés biens nationaux.
Ce mouvement pourrait, à première vue, sembler un acte de redistribution des richesses en faveur du peuple. Mais dans la réalité, ces biens sont majoritairement accaparés par la bourgeoisie, qui en profite pour s’enrichir davantage.

Les paysans, ceux-là mêmes qui travaillaient ces terres, n’ont souvent pas les moyens d’acquérir une parcelle de ce nouveau domaine national.
Loin d’être libérés, les paysans continuent de travailler pour les nouveaux propriétaires, qui profitent d’une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci.
Ce transfert de propriété, au lieu de profiter à ceux qui en avaient le plus besoin, consolide le pouvoir économique d’une classe bourgeoise montante. Dès ce moment, on voit déjà poindre les prémices d’un capitalisme naissant, avec des ressources autrefois communes ou cléricales transformées en biens privés, exploitables pour le profit d’une minorité.
Les Biens Publics Modernes : France Télécom, EDF, GDF et les Autoroutes
Dans l’ère moderne, la privatisation des biens publics suit un modèle similaire, mais avec des outils plus sophistiqués et un appareil d’État complice.
Prenons l’exemple de France Télécom, EDF, GDF et les autoroutes. Ces infrastructures ont été construites grâce aux impôts des citoyens, représentant des décennies d’efforts collectifs pour bâtir des réseaux de communication, d’électricité, de gaz, et de transport routier. Ces biens, censés appartenir à la nation, ont été développés pour le bien commun.
Puis, avec l’avènement du néolibéralisme, des gouvernements ont commencé à vendre ces actifs publics. Les justifications invoquées sont souvent les mêmes : des arguments sur l’incapacité de l’État à gérer efficacement ces biens, ou des besoins de financement d’autres projets.
Les citoyens, qui sont les véritables propriétaires de ces infrastructures, n’ont guère leur mot à dire. En pratique, le transfert de ces biens publics vers des intérêts privés, tels que France Télécom devient Orange, EDF et GDF se transformant en Enedis, ou les autoroutes passant sous le contrôle de groupes comme Vinci, ne fait que déposséder la population.
Avec ces privatisations, ce qui était autrefois un service public est transformé en une source de profit pour des actionnaires.
Le citoyen, qui a financé ces infrastructures avec ses impôts, se retrouve alors non seulement privé de la propriété de ces biens, mais il est aussi contraint de payer pour les utiliser, sous forme de factures de téléphone, d’électricité, de gaz et de péages autoroutiers. L’argument d’une meilleure gestion par le secteur privé cache souvent des augmentations de tarifs, des suppressions d’emplois et des coupes dans les services.
Délocalisations et Spoliation de la Production Agricole
Avec la montée en puissance des financiers et leur obsession du profit à court terme, la logique de privatisation s’étend à des pans toujours plus larges de l’économie. Alors que l’industrie manufacturière est progressivement délocalisée vers des pays où la main-d’œuvre est moins coûteuse, les dernières ressources de production agricole sont également mises en danger.

L’Ukraine, par exemple, offre des opportunités aux intérêts financiers européens en quête de terres agricoles à bas prix.
Avec près du double de la surface agricole française et un coût de main-d’œuvre quatre fois inférieur, l’Ukraine devient une cible privilégiée pour ces financiers, qui cherchent à maximiser leurs marges tout en contournant les normes européennes. La corruption, les bas salaires et le manque de régulations locales facilitent encore davantage cette exploitation. Ce phénomène va de pair avec des accords commerciaux internationaux passés avec des pays comme la Chine ou le Brésil, et qui privilégient les intérêts des grands investisseurs au détriment de la souveraineté alimentaire de l’Europe.
Le résultat ? Non seulement le tissu industriel européen s’effondre, mais la production agricole elle-même se retrouve externalisée, échappant aux populations locales qui en dépendent. Ces pratiques, en plus d’affaiblir l’économie locale, exacerbent la dépendance alimentaire de l’Europe, mettant en péril sa capacité à subvenir aux besoins de sa population de manière autonome.
Le Rôle des Citoyens dans ce Système
Au fil des siècles, le peuple n’a cessé d’être dépossédé de ses ressources. Que ce soit par le biais de la spoliation des terres pendant la Révolution, ou par la privatisation des services publics et la délocalisation des industries, la logique de cette spoliation reste la même :
priver le citoyen de son patrimoine collectif au profit de quelques-uns. Le système capitaliste n’a fait qu’adapter ses méthodes pour s’emparer des biens communs, transformant les infrastructures publiques en instruments de profit pour des multinationales et autres conglomérats financiers.

Pour les anarchistes, ces mécanismes de spoliation des biens communs constituent une preuve de l’illégitimité de l’État et du capitalisme. Si les citoyens financent les infrastructures, les services et même les produits de base, ils devraient être en droit de contrôler et de bénéficier de ces ressources, sans que des élites ne viennent s’en approprier les fruits.
En reprenant collectivement ces biens, les citoyens pourraient non seulement restaurer une certaine autonomie, mais également remettre en question l’autorité de ceux qui se disent les gestionnaires de la nation.
Les exemples passés et présents montrent que, si le peuple ne prend pas activement en main son avenir, il continuera d’être spolié par ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique. La solution réside peut-être dans la reprise des biens communs et la construction de nouvelles formes d’organisation sociale, basées sur l’autogestion et la solidarité.
Perspectives et Alternatives : Un Cycle sans Fin ?
Au fond, la situation actuelle n’est que la continuité d’une longue histoire de domination. Le capitalisme français, depuis la Révolution, s’est construit sur l’exploitation des travailleurs, toujours au profit d’une minorité.
L’ère actuelle, dominée par les multinationales et les géants de la tech, s’inscrit dans cette logique. En accumulant richesses et pouvoir, elles accentuent les inégalités et privent les citoyens de tout véritable contrôle sur leur vie et leur travail.
Mais face à ce cycle infernal de domination, il reste des lueurs d’espoir. De plus en plus de citoyens s’organisent pour proposer des alternatives au capitalisme débridé. Les mouvements écologistes, les coopératives, les initiatives d’économie sociale et solidaire sont autant de signes que le peuple cherche à échapper à ce destin de larbin.
Le capitalisme montre aujourd’hui ses limites : précarisation, épuisement des ressources, et désespoir social.
La prise de conscience écologique, la volonté d’une consommation plus éthique et responsable, et l’essor des technologies accessibles à tous sont des outils potentiels pour renverser la domination financière.
Cependant, la question reste posée : le citoyen français, qui s’est vu réduire au statut de corvéable à merci depuis des siècles, parviendra-t-il à briser ce cycle et à se réapproprier les rênes de son avenir ?
L’histoire enseigne que la domination n’est jamais éternelle, mais elle montre aussi que le combat est difficile et souvent ingrat. Ce sera aux générations futures de décider si elles accepteront de continuer à marcher dans les rangs ou si elles préféreront ouvrir de nouveaux horizons, au-delà des vieux modèles de soumission et de servitude.
Dans cet ouvrage, Lefebvre, historien renommé, explore l’influence de la bourgeoisie sur la Révolution, expliquant comment ses revendications ont façonné les réformes politiques et économiques, tout en influençant les actions révolutionnaires. Lefebvre montre également comment les autres classes sociales, telles que les paysans et les sans-culottes, ont participé et contribué à la radicalisation de la Révolution.
Les Sans-culottes - Soboul Alabert
Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794)*. Soboul analyse le rôle des sans-culottes, ces ouvriers et artisans de Paris qui ont radicalisé la Révolution et poussé pour une démocratie plus participative et égalitaire. Soboul explore également les tensions entre les intérêts bourgeois et ceux des classes populaires pendant la Révolution.
La Révolution française et les paysans - Soboul Albert
Librairie François Maspero, 1982. Soboul explique comment la Révolution a favorisé le développement d’un marché libre et d’une économie capitaliste en abolissant les obstacles féodaux et en promouvant la liberté économique.
Furet offre une interprétation plus complexe, en montrant que bien que la bourgeoisie ait joué un rôle clé, la Révolution française dépasse largement ses seuls intérêts. L’ouvrage montre comment la Révolution a façonné la notion moderne de citoyenneté et de souveraineté populaire, influençant non seulement la bourgeoisie, mais toute la société.
Dans ce livre, Hobsbawm décrit comment la Révolution française a initié un changement fondamental en Europe, impulsé par la bourgeoisie montante. Il examine les liens entre les réformes révolutionnaires et l’émergence du capitalisme, et montre comment la bourgeoisie a promu un ordre plus favorable à ses intérêts économiques et politiques.
Yale University Press, 2009. Doyle analyse comment les réformes absolutistes ont progressivement réduit le pouvoir militaire et politique de la noblesse, tout en centralisant le pouvoir entre les mains de la monarchie et, par extension, de l’État.
Harvard University Press, 2014. Piketty analyse comment la concentration de la richesse et l’augmentation des inégalités sont renforcées par la financiarisation de l’économie contemporaine.
Éditions du Seuil, 2019. Piketty explique comment les inégalités économiques pourraient s’accroître si des réformes fiscales et sociales ne sont pas mises en œuvre pour redistribuer les richesses
Conseil d’Analyse Économique, 2021. Les auteurs examinent les défis auxquels le système de retraite français sera confronté en raison du vieillissement démographique.
No Society: La fin de la classe moyenne occidentale - Guilluy Christophe
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