L’État veut imposer aux médecins de s’implanter dans les zones dites de « déserts médicaux »
Depuis plusieurs décennies, les services publics se retirent, un à un, des campagnes, des petites villes, des quartiers populaires.
Hôpitaux de proximité, maternités, bureaux de poste, écoles, gares, services sociaux…
Tous ces lieux qui constituaient autrefois la trame vivante d’un territoire ont été méthodiquement abandonnés au nom de la rentabilité, du sacro-saint équilibre budgétaire et des logiques comptables de technocrates hors-sol. Aujourd’hui, l’État (qui a laissé mourir ces territoires) voudrait contraindre les médecins à revenir dans les ruines qu’il a lui-même créées.
Voilà le dernier coup de force d’un pouvoir qui n’écoute rien, ne consulte personne et qui préfère gérer ses propres erreurs par la coercition plutôt que par le soin et la réparation.
Le désert, un choix politique
Le terme de « désert médical » est devenu une expression médiatique pratique pour masquer la réalité sociale et politique. Car un désert, cela se crée. Ce sont des décennies de politiques publiques guidées par le désengagement qui ont transformé des régions entières en friches sociales.

Quand une maternité ferme, c’est un territoire qui perd une part de sa dignité et de sa capacité à prendre soin de ses propres habitants. Quand une école ferme, c’est une génération qu’on condamne à partir ailleurs. Quand un bureau de poste baisse définitivement son rideau, c’est un lien social qui se délite un peu plus.
Ces décisions n’ont rien d’accidentel. Elles sont le produit d’une vision du monde où seules les métropoles mériteraient qu’on y investisse, où les campagnes seraient des réserves de main-d’œuvre ou des destinations touristiques. Les services publics disparaissent, les emplois se raréfient, les logements se dégradent, et les populations les plus précaires sont abandonnées à elles-mêmes. Les déserts médicaux ne sont que la conséquence logique de ce désastre organisé.
Des politiques écologistes punitives au service de l’exclusion sociale
Le résultat est simple : les plus pauvres, chassés des centres urbains qu’ils ne peuvent plus traverser ni habiter, sont repoussés toujours plus loin vers les périphéries et les campagnes. Des territoires déjà sinistrés qui deviennent des zones de relégation sociale, privées d’emplois, de services publics et désormais peuplées d’exclus économiques et écologiques.
Ce processus d’abandon s’accompagne aujourd’hui de politiques dites « écologiques » qui participent, sous couvert de vertu environnementale, à cette grande exclusion territoriale. Les Zones à Faibles Émissions (ZFE), instaurées dans les grandes agglomérations, en sont l’un des exemples les plus criants.
Officiellement mises en place pour lutter contre la pollution de l’air, elles interdisent aux véhicules anciens et bon marché (souvent les seuls que peuvent encore se payer les ménages les plus modestes ) de circuler en ville.
Ces populations, déclassées et isolées, sont ensuite sommées de survivre dans des déserts médicaux et sociaux où l’État se refuse à investir.
La politique punitive écologiste sert ici de masque vert à une politique de classe : préserver les centres-villes pour les riches et les bobos bien dotés, en expédiant ailleurs celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se conformer à ces nouvelles normes environnementales coûteuses. On criminalise la pauvreté sous couvert d’écologie, et on aggrave encore la fracture territoriale.
Des médecins enchaînés pour masquer les ruines
Plutôt que de remettre en cause ces choix mortifères, le pouvoir politique préfère aujourd’hui tenter de contraindre les médecins à s’installer dans ces zones sinistrées. Sous prétexte d’équité et d’accès aux soins, il envisage d’obliger les nouveaux praticiens à s’implanter dans les « déserts médicaux ». Ce qu’on refuse de leur offrir : des conditions de vie dignes, des services publics solides, des infrastructures, on voudrait l’imposer par décret.
Ce n’est pas un projet de santé publique : c’est une opération de camouflage. On déguise en politique de solidarité ce qui n’est qu’un mauvais rafistolage d’un système en bout de course. Que l’État impose des obligations aux médecins alors même qu’il n’offre plus rien aux territoires qu’il a désertés est une insulte à l’intelligence collective et à la réalité quotidienne de ces zones rurales et périphériques.
Des campagnes abandonnées à leur sort
Car au-delà des médecins, c’est toute la vie sociale qui s’est effondrée dans ces territoires. Que veut dire s’installer en tant que professionnel de santé dans un village où il n’y a plus d’école, plus de commerces, plus de service postal, plus de lieu culturel et où l’emploi s’est évaporé ? Quelle vie peut-on proposer à ces médecins et à leurs familles dans des territoires laissés à l’abandon ? Et surtout, quel soin de qualité peut-on offrir à des populations précarisées, âgées, isolées, quand les infrastructures essentielles manquent et que les autres services de santé de proximité ont disparu ?
Le problème dépasse largement la seule question médicale. C’est une question de vie, de sociabilité, d’économie locale, de liens humains. Une société où l’on vit, ce n’est pas une société où l’on se contente de survivre en attendant de devoir faire 60 kilomètres pour consulter un spécialiste ou accoucher en urgence.
La logique autoritaire comme dernier recours
Face à ses propres défaillances, l’État n’a plus qu’un réflexe : l’autorité. Plutôt que de réinvestir, il ordonne. Plutôt que de reconstruire des services publics, il impose des obligations individuelles. Ce réflexe autoritaire n’est pas neuf. Il est la marque d’un pouvoir qui, s’étant coupé des réalités sociales, ne sait plus qu’imposer au lieu de convaincre.
C’est la même logique qui pousse les gouvernements à criminaliser les mobilisations sociales, à réprimer les zadistes qui défendent des terres menacées, ou à multiplier les lois sécuritaires quand la misère sociale s’aggrave. L’autorité remplace la politique, la contrainte remplace le débat, la sanction remplace la solidarité.
Réinvestir dans la vie, pas imposer la présence
Il est évident que les médecins sont nécessaires partout. Mais la question à poser est : dans quelles conditions et pour quelle vie collective ? Obliger des professionnels à s’installer dans des zones mortes ne résoudra rien si, autour d’eux, tout continue de s’écrouler. La priorité ne devrait pas être de forcer des installations, mais de faire renaître ces territoires.
Cela passe par le retour des services publics, la réouverture des écoles, la restauration des maternités, la relance d’une économie locale non délocalisée, la création d’emplois durables et utiles, des logements accessibles et décents, des transports collectifs efficaces. Il faut recréer les conditions matérielles et sociales de la vie. C’est alors que les médecins, comme d’autres professions, auront envie de s’y installer, parce que ces lieux redeviendront des espaces de vie humaine et non des vestiges abandonnés.
L’alternative révolutionnaire : autogestion et communalisme
Au lieu d’attendre qu’un État centralisateur et autoritaire décide depuis ses ministères parisiens du sort de territoires qu’il méprise, il serait temps d’expérimenter d’autres formes d’organisation. Partout, des expériences de santé communautaire, d’éducation populaire, d’agriculture locale et d’économie coopérative émergent, souvent en rupture avec les logiques étatiques et capitalistes.
Dans certaines communes rurales, des maisons de santé autogérées voient le jour, associant soignants, habitants et associations. Des réseaux d’entraide médicale se construisent en dehors des cadres institutionnels. Des assemblées locales se réapproprient la gestion de leur territoire, selon des principes de démocratie directe et de solidarités concrètes.
Plutôt que d’imposer par la force, il est possible d’organiser par le commun. Non pas dans une logique de charité descendante ou de service minimum, mais dans celle de la reconquête collective des moyens de vivre et de prendre soin de soi et des autres. La santé, l’éducation, l’alimentation, l’énergie, le logement sont des biens communs qui devraient échapper à la logique marchande et au contrôle autoritaire de l’État.
Conclusion : reprendre la main sur nos vies
Les déserts médicaux ne sont pas un problème isolé, c’est un symptôme. Le symptôme d’une société où les décisions sont prises loin des habitants, où les services essentiels disparaissent, où l’on sacrifie des territoires entiers au profit d’intérêts économiques et de logiques comptables. Vouloir y remédier par la contrainte, sans réparer les dégâts structurels, est une absurdité.
Il est temps de reprendre la main sur nos vies, nos territoires, nos services, nos communs. Non pas en quémandant des miettes à un pouvoir qui ne connaît que la coercition, mais en construisant dès maintenant des alternatives locales, autogérées, solidaires et révolutionnaires. Les médecins, comme les instituteurs, les paysans, les artisans, les soignants, les habitants doivent être les acteurs de cette reconquête et non les instruments d’un État autoritaire qui veut camoufler son abandon derrière des obligations légales.
Refaire société là où l’État l’a détruite, c’est possible. Et c’est à nous de l’imaginer et de l’organiser.